Flottant

Voici ci-dessous, la traduction de l'article que j'ai écrit pour le site de la revue Dilema Veche
Je remercie la rédaction et Ana, en particulier, pour m'avoir donné la possibilité de m'exprimer sur un sujet qui compte particulièrement... à mes yeux...

"Bucarest, à travers mes yeux

La raison de ma présence ici, à Bucarest, de mon exil volontaire en Roumanie, pays que l'on fuit plutôt que l'on ne choisit reste pour de nombreuses personnes une folie, une chose pas claire, étrange voire inquiétante. J'ai quitté mon pays natal et j'envie parfois les vrais exilés ceux qui disent aimer passionnément leur pays d'origine, sans pouvoir pour des raisons politiques ou économiques y vivre: dans ces moments, mon exil à moi me semble superficiel, capricieux, individualiste.
Pourquoi suis-je ici? Je le sais et l'oublie peu à peu. Ce qui m'intéresse et ce qui rend perplexe les gens autour de moi c'est la raison pour laquelle je persiste à rester. Je l'apprends chaque jour un peu plus, je découvre au détour d'une rue ou d'un regard un motif supplémentaire pour vivre à Bucarest. Le matin, partant aux aurores, j'ai l'impression que Bucarest m'appartient, la ville se lève avec moi (pour moi, ai-je la bêtise de croire) et m'accompagne jusqu'à mon travail. J'emprunte des rues, des parcs, en écoutant les oiseaux et les battements de la ville. Son brouhaha confère à ma journée son rythme. Les deux balayeurs de ma rue, le garde de l'Ambassade de Hongrie, la vendeuse du kiosque à journaux sont devenus des visages familiers, presque des amis, même si je n'ai jamais échangé avec eux plus de deux mots. Nous partageons un point commun, nous partageons la même condition et le même spectacle : le levée du jour sur Bucarest. C'est le moment préféré de ma journée et le seul instant ou je me sens forte, presque invincible.
Les gens d'ici portent sur leur visage les sentiments immédiats que d'autres nations cachent si souvent, par honte ou par fierté. La dureté, la colère, la misère, la joie, la folie, l'égarement, la solitude, la réussite, l'échec se lisent dans leurs yeux et j'apprends dans leurs traits à assumer moi aussi mes idées, sensations, inclinations ou affections.
Leur élan, leur énergie malgré les austérités quotidiennes et leur passé gris, leur humour, leur absurdité et l'environnement dans lequel ils évoluent: brut, massif, gris, me plaisent. Car derrière le gris se cache une poésie que l'on ne soupçonne pas lorsqu'on arrive la première fois en Roumanie. Oui, vous avez bien entendu : poésie. Car la poésie est ce qui permet de transformer le laid en beau.
Je donne des cours de français à des gens qui ne souhaitent qu'une chose: s'exiler de la terre sur laquelle je me suis exilée. Je travaille dans un milieu où la Roumanie m'est présentée telle quelle: un corps malade à qui on arrache des racines pures et fertiles. Un peu comme moi... Mais les racines repoussent toujours. Je traduis les mots d'auteurs qui contribuent à mon enivrement roumain. La nuit, je me plonge dans leurs écrits, et la magie opère. Je me faufile au milieu de leurs idées et me blottis entre leurs lettres et leurs êtres. Et le matin, je me lève, l'esprit nourri, le souffle libéré.
La Roumanie est mon livre préféré. Un livre passionnant et étrange : ses pages se forment à mesure du temps qui passe. Je suis loin de l'avoir terminé et je constate avec soulagement, chaque jour, qu'une nouvelle page m'attend.

PS: Depuis un mois et demi, j'ai un chat, elle s'appelle Roumaine. Sans commentaire."





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