Rêve en roumain

J'ai rêvé en roumain.
Un rêve clair, aérien, compréhensible. Première fois que cela m'arrive.
Je suis au milieu de gens souriants, des gens qui me sourient, je leur souris aussi. Nous marchons d'un pas lent, d'une lenteur que seuls les rêves rendent belle, comme une scène de film au ralenti. Moi et eux, ensemble, nous sommes les acteurs d'un film, celui de ma vie qui sous la lumière des projecteurs de mon rêve, devient céleste. Nous avançons hors du temps, dans un temps qui ne m'appartient pas mais qui m'accueille les bras ouverts. Nous parlons, partageons, écoutons. Je vois leurs yeux et dans leurs yeux, une proximité telle une berceuse, celle après laquelle je cours désespérément chaque nuit, celle que je me chante à moi-même les soirs où il fait très noir. Je m'exprime dans cette langue que je veux faire mienne alors qu'elle ne m'appartient pas. Je dis mes pensées, ne bute sur aucune d'entre elles.  Je nomme les sentiments qui me sont miens et s'échappant de mes lèvres, les idées les plus noires se font blanches. Je crie les états de mon âme et brandis les blessures sous ma peau. Je ne froisse rien ni personne, n'éprouve aucune culpabilité. Je vois de l'empathie et même de l'amour. Je suis aimée et ne me pose aucune question sur le pourquoi de cet amour. Les phrases que je forme m'offrent les nuances nécessaires aux vies éclatées. Je me délie à mesure que ma langue roumaine se délie. Une douce brise m'enveloppe, le son de l'eau me protège des bruits ennemis, fleurs et hommes s'ouvrent sur mon passage... Dans mes yeux et dans celui des autres, je ne suis plus cette étrangère que l'on ne comprend pas, que l'on n'entend pas.
Nous arrivons au bord de l'eau. Je me déchausse, retire les tissus de ma peau, l'armure sous laquelle je me cachais. Mon pied droit entre dans l'eau, puis le gauche, puis mes genoux et mes épaules. C'est doux et caressant. La mer m'ouvre ses bras, je prends ma respiration et me précipite. Je m'engloutis, coule et me perds dans la mer qui m'a piégée. De nouveau...

Revenir et remonter. Réveillée et sonnée. Je m'asseois dans mon lit, écarquille les yeux, essuie les gouttes salées glissant le long de ma joue. Je soulève mes draps, secoue ma couverture, je cherche mes mots et ma langue. Mais il n'y a rien. Ils sont restés prisonniers dans les bras de la mer.

Amputés de mes mots, je me lève et reprends ma fidèle armure.

Stefan Câltia

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