Champagne !!!

par Ana Maria Sandu

Reims se situe à une demi heure de Paris, en TGV. Je suis partie au Week end M'auteurs avec l'idée que j'allais arriver dans le lieu où l'on fait le champagne et que les organisateurs, Joël Simon et Isabelle Leseur, que j'avais déjà rencontrés à Bucarest sont des gens chaleureux et très enthousiasmés par tout ce qu'ils font dans leur association culturelle, Nova Villa.
En fait, au bout de trois jours passés à Reims (6-9 octombrie), je me suis rendue compte que je ne savais rien, et que j'étais loin d'imaginer qu'il existe au monde un lieu où les auteurs ont la chance immense de connaître leur public dans des milieux les plus informels possible: je veux parler des lectures “en famille”, dans les maisons des habitants de Reims et des environs, dont la seule obligation est d'inviter assez de public et de bien vouloir préparer une petite collation pour après la lecture.
Ou que l'on pouvait organiser des lectures pour les jeunes lecteurs dans les lycées ou dans les médiathèques de communes de quelques milliers d'habitants (qui n'ont aucun rapport avec ce que nous entendons nous par bibliothèques publiques, ce sont des espaces lumineux et amicaux où les auteurs sont régulièrement invités à des lectures publiques).
Nova Villa s'occupe tout d'abord de théâtre, et leurs projets se déroulent sur toute l'année. Je n'exagère pas du tout si je dis que je me suis moi-même sentie durant ces quelques jours une sorte de personnage ayant atterri dans un monde idéal, où l'auteur et ses écrits sont importants pour ceux qui l'entourent. Il n'y a rien de prétentieux dans ce que fait Joël Simon. Au contraire, les gens de Nova Villa ont tous une humanité qui les enveloppe comme de la poudre d'or. Et les écrivains invités et leurs spectateurs aussi, des enfants de 7-10 ans ou des adolescents, en dernière année de lycée, comme cela s'est passé avec moi à Laon, une petite ville à 50 km de Reims.
La formule est simple: on lit d'abord les textes, puis l'on discute. A côté de la culture de la lecture, ces jeunes sont entraînés dans une culture du dialogue. Ils sont encouragés à dire comment ils ont trouvé la pièce ou l'extrait de livre qu'ils ont écouté, ou encore à demander, comme cela est arrivé à l'un des invités de cette édition, « de quelle nationalité était le premier écrivain du monde ». Je me suis surprise à penser au cours de ces trois jours à quel point les mondes dans lesquels nous vivons pouvaient être différents. Et je me suis dit que si nous ne faisions pas nous aussi quelque chose dans ce sens, chez nous, le nombre de nos lecteurs n'augmenterait jamais. Au contraire, si l'on n'éduque pas le jeune public, celui qui existe, aussi fidèle et précieux soit-il, ce dernier n'a aucun moyen de croître.
J'ai assisté à des lectures merveilleuses, où les familles, enfants et grands-parents compris, retenaient leur respiration jusqu'à ce que le texte se termine. J'ai mangé les meilleurs gâteaux de ma vie, et le champagne était notre glamour quotidien.
Chacun des auteurs présents à M'auteurs était, à sa manière, un personnage.
Joël était partout, toujours sur scène, ne fatiguant jamais, il est une histoire à lui tout seul, il ressemble à un oncle sorti tout droit d'une histoire avec beaucoup de neige, un feu dans la cheminée et des jouets par milliers pour les enfants. Il parle corporellement de ses projets : avec sa moustache blanche, ses yeux brillants, ses mains. C'est un individu bonhomme, enthousiaste et drôle. Il croit en ses auteurs et en leurs textes, comme jamais je n'en ai vu. Tous ceux qui le connaissent sont d'accord qu'il mériterait un fan club.
Isabelle est la française typique, elle habite une maison de rêve, quelque part aux abords d'une forêt. Elle enseigne la biologie et est la présidente de l'association culturelle Nova Villa. Grande et souple, elle est en mouvement permanent. Pour la lecture organisée chez elle, à laquelle étaient présents ses amis et voisins, et ses trois enfants, elle avait préparé toutes sortes de douceurs.
Charlotte est adorable, toujours souriante, elle a été notre guide dès le début, lorsque nous sommes montées à bord de sa voiture blanche. Moi et Fanny Chartres, mon amie et ma traductrice (Din amintirile unui Chelbasan, mon premier livre est devenue grâce à elle, L’écorchure, publié aux éditions du Chemin de Fer), nous l'avons aimée dès le premier instant. Son air d'enfant et la passion avec laquelle elle parle des projets dont elle s'occupe sont contagieux.
Même si nous avions peu de temps et fonctionnions comme une armée de soldats qui doivent se répartir dans différentes directions pour honorer leur public, nous nous voyions tous aux repas du midi et du soir. Nous étions beaucoup d'auteurs, nous observant et changeant sans arrêt de place afin de mieux nous connaître. Je crois qu'en dehors de l'écrivain d'origine algérienne, Kaouther Adimi, auteur du premier roman, L’envers des autres, tous les auteurs avaient déjà participé à M'auteurs lors d'éditions précédentes.
Pascal Brullemans écrit des pièces de théâtre au Québec, il est une sorte de Woody Allen âgé d'environ 40 ans, d'une énergie débordante, le genre de personne qui réussit à détendre l'atmosphère par sa seule présence. Son écriture est aussi agréable qu'il l'est dans la vie réelle.
Luc écrit des pièces de théâtre et des romans, il anime aussi des ateliers d'écriture. Lorsqu'il est parti de Reims, il portait une vieille valise dont il ne se rappelait plus où il l'avait trouvée. Il a fait une résidence à Cormontreuil, une commune près de Reims. Il a commencé à se documenter pour un roman qui a pour personnages des héros de la première guerre mondiale. Nous l'avons écouté un soir, bouches bées, nous dévoiler les fils d'histoires faites d'assassins, de dames mondaines et de procès.
Son départ inattendu, vers la gare, pour prendre un train de nuit, tenant dans la main cette valise en peau marron, semblait la meilleure sortie de scène pour un auteur qui écrit sur des choses ayant eu lieu il y a plus d'un demi siècle et son bagage vieilli semblait l' accessoire principal de son propre théâtre.
Nicolas Saelens est metteur en scène, il a un air de grand enfant et une compagnie au nom poétique, Theâtre Inutile. Il a lu avec Kossi Efoui une pièce tout aussi poétique. Kossi Efoui, restera pour moi, l'enfant sans âge. Lorsque l'on apprend que ce grand garçon filiforme et excentrique, a en fait 50 ans, on pense à une bonne plaisanterie. Leurs seuls voix ont su remplir la salle de tout un tas d'images: sans doute que lorsqu'il passe sur scène, le théâtre ne devient non seulement utile, mais aussi miraculeux.
Karin Serres est arrivé un peu plus tard. Tonique et d'une grande intelligence, elle écrit et lit ses pièces avec une passion incroyable.
Je les regardais tous et les écoutais. Ils me demandaient de leur parler du théâtre pour enfants en Roumanie, de la littérature jeunesse. C'est normal, c'est leur domaine. Seulement, moi, je ne savais pas trop quoi leur répondre. Je leur ai dit, avec une certaine tristesse, que c'était la première fois que je faisais une lecture devant un public aussi jeune (17-18 ans). Cela les a fait rire, il leur semblait que nous parlions déjà d'adultes.
Il y a aussi une autre Isabelle, elle est professeur, elle a le même âge que moi, elle enseigne le français et le théâtre. Elle aime ce qu'elle fait et pense qu'il est merveilleux pour elle et pour les élèves de rencontrer des auteurs, de leur parler. Elle est jolie, calme et polie. Ses élèves l'aiment, c'est évident, cela se sent dans la manière dont ils posent leurs questions. Même s'ils avaient terminé leur journée de cours, dans la salle de répétition, où notre rencontre s'est tenue, aucun d'entre eux n'a regardé sa montre et ne semblait impatient de rentrer à la maison. Cela m'a impressionné.
Corinne Méric est comédienne et metteur en scène, elle vit à Lyon, et a lu de manière très convaincante, la pièce de Pascal, Monstres. Une pièce qui parle d'une adolescente qui attend le résultat de son test de grossesse. Une minute qui devient une éternité et qui devient une sorte de scénario de science-fiction. Sa voix est crédible, et le texte est une combinaison de tragique et comique qui a fait sensation dans le public du salon de la famille qui accueillait la lecture.
Je suis entrée dans de nombreuses maisons, je me suis assise aux côtés de nombreux spectateurs, j'ai senti leurs réactions, mes émotions ont été si fortes que j'ai l'impression que l'événement de Reims a duré un mois.
Et si dans la pièce de Karin, lue en soirée de clôture, les personnages ont toujours une bouteille de champagne à portée de main, car tout événement, aussi petit soit-il, mérite d'être fêté, je terminerai en disant comme eux : Champagne pour tous ceux que j'ai connus à Reims et, surtout pour leur projet intelligent, professionnel et de longue haleine.

PS: au mois de décembre, Mihaela Michailov sera invitée à Reims, dans le cadre d'une série de lectures et de rencontres publiques.

Article paru sur Artactmagazine.ro
Traduction du roumain: Fanny Chartres

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