Article Dilema Veche


Article publié par la revue culturelle Dilema Veche  dans un dossier thématique sur "la peur" coordonné par Ana Maria Sandu.

Il fut un jour où la peur décida de s'emparer de votre corps, elle choisit le vôtre, un peu friable et bancal, un peu malmené et cassé.
La peur de ne plus rien maitriser, voilà ce que vous avez ressenti au cours de ces jours passés derrière les murs blancs de l'hôpital. Votre corps et votre âme vous échappant totalement, devenant des jouets aux mains de personnes dont les titres et les diplômes leur donnaient le droit de s'amuser avec vos états. Il y eurent tout d'abord les douleurs : souffrances presque banales de la maladie, et leur conséquence presqu'inévitable : corps vidé de ses forces vous contraignant à une position immobile et soumise sur un lit glacial. Puis très vite, il y eurent l'angoisse devant votre incapacité à reprendre les rênes de votre corps, l'effroi en constatant que vos forces physiques vous fuyaient, la prise de conscience horrifiée que la maladie était plus forte que tout, sournoise et intelligente, surgissant de manière inattendue, vous dupant et vous frappant lorsque vous vous y attendiez le moins, se réjouissant de pouvoir vivre et remuer dans votre corps flottant et fuyant.
L'ennemi rusé avait plus d'un tour dans son sac, c'est ainsi qu'il répandit aussi son mal autour de sa proie. Vous isolant dans votre maladie, vous culpabilisant devant vos proches, eux-mêmes inquiets et affolés, vous menottant aux deux barrières de votre lit gris. Ces jours-là, vous avez réellement cru que la peur avait gagné : ses griffes bien enfoncées dans votre chair, elle ne vous quittait plus et se manifestait désormais de manière visible, ainsi ce tremblement incontrôlable qui s'était installé dans vos mains et sur votre lèvre inférieur, le tremblement de la peur, non de la fièvre que finalement vous préfériez.
A la peur de rester enfermé, de ne plus jamais vivre la vie que vous vous étiez donnée, forcé de subir et de souffrir en silence, tout seul, s'est ajoutée la peur de la blouse blanche, sensée apaiser et calmer la douleur, elle nourrissait vos tremblements, vous interdisait tout espoir, vous condamnait à la vie allongée et muette, vous obligeant à écouter ses discours savants, condescendants, glaçants et désespérants, vous coupant du monde extérieur, de vos proches. Votre douleur était une parmi d'autres, leurs aiguilles avaient fait de vos bras un arc-en-ciel de bleu, de violet et de gris, votre veine avait claqué, votre bras avait doublé de volume mais le signaler ne les inquiétait pas, il faudra attendre deux jours et une nouvelle montée de fièvre pour qu'ils se décident à vous apporter le soin que leur statut les autorisait à donner. La peur de l'indifférence, de leur refus vous contraignirent au silence. Désormais vous ne direz rien et souffrirez sans mot dire. La maladie s'était trouvée un allié et vous narguait en toute impunité.
C'est alors que vous avez cru que la maladie allait s'entourer d'un autre allié : une nouvelle peur est apparue, cette peur folle, presqu'irrationnelle, qu'après avoir pulvérisé vos forces physiques l'ennemi allait éloigner de vous, tous ceux qui vous étaient chers, la peur du complot...
Mais la maladie et la peur échouèrent, l'amour, le soutien, l'attention, la générosité de quelques autres, proches et moins proches, triomphèrent. Leurs mots comptant davantage que tout autre chose, les maux s'atténuèrent et vous abandonnèrent pour aller s'emparer d'autres individus plus malléables, plus seuls, plus démunis, les blouses blanches disparurent et les couleurs vives réapparurent.
Aujourd'hui, face à une autre peur, celle que vous inspirent ces cités abritant les maux et les peurs, vous sentez naître en vous une force neuve, celle qui vous permettra de résister aux flots, de consolider la cité de vos rêves, une cité qui vous protégera de tout, même de votre peur.


Whitney Justesen


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